Musique « quantique » – expérience 1
, par Olivier Colot
Et si on transposait les principes de la mécanique quantique à la musique : qu’est-ce que ça donnerait ?
Ces dernières semaines, j’ai été excité par cette question avec une fébrilité certaine, car autant la question a une portée intellectuelle amusante, autant il y a de fâcheuses chances que la musique soit au niveau zéro de l’émotion. Soit ! Autant utiliser ces cinq ans d’études en ingénierie physique et tenter l’expérience !
Deux questions se posent : qu’est-ce qui de la mécanique quantique est transposable à la musique ? Est-il possible de composer quelque chose d’artistiquement viable avec ce principe ?
Pour cette première expérience, j’ai choisi de m’attaquer à une question de base : si les gammes qu’on connaît résultent des vibrations naturelles macroscopiques, que serait une gamme créée sur base d’un timbre naturel à l’échelle atomique ? Et si on remplaçait le timbre de la vibration d’une corde, comme on le fait classiquement pour expliquer les gammes diatoniques (majeures, mineures, etc.), par les niveaux d’excitations d’électrons orbitant autour d’un atome ? Ok… je vais décortiquer tout ça :
Pour préparer l’analogie, rappelons-nous d’abord ce qui a donné naissance aux notes et gammes que l’on utilise en musique occidentale. Arnold Schoenberg l’explique magistralement dans son Traité d’harmonie de 1922 : si l’on prend un do, par exemple joué sur une guitare et que l’on observe les fréquences qui constituent son timbre (la « couleur » du son), on remarque que les fréquences en multiple entier de la fondamentale, que l’on appelle « harmoniques » sont dominantes. Cette série d’harmoniques correspond pour do à la série de notes suivantes : do, sol, do, mi, sol, etc. Si on répète la même opération 1/ à partir d’une note dont la seconde harmonique est do et 2/ à partir de la sol (la seconde harmonique de do), on obtient la série d’harmoniques de fa (fa, do, fa, la, do, etc.) et sol (sol, ré, sol, si, etc.) respectivement. En combinant ces trois séries, on obtient la gamme majeure (do, re, mi, fa, sol, la ,si, do). Autrement dit, si on « étale horizontalement » les fréquences présentes dans un son « verticalement », on obtient nos gammes. Fascinant !
Et si on utilisait le même procédé et que l’on remplaçait cette corde vibrante par un atome et ses électrons « vibrant » à différents niveaux d’énergie ? Et si on substituait la corde vibrante par des « vibrations » d’électrons autour d’un noyau atomique, quelle gamme obtiendrait-on ?
Mais d’abord, qu’est-ce que « faire vibrer un atome » ? Et en quoi ce système quantique se comporte différemment d’objets macroscopiques comme une planète et ses satellites ? Pour simplifier, prenons un atome d’hydrogène, soit un proton (le noyau) et un électron qui orbite autour. A son état fondamental (le plus bas niveau d’énergie possible), l’électron orbite au plus bas. L’équivalent de gratter une corde, serait ici d’exciter l’atome, par exemple en le bombardant d’infrarouges, de lumière visible ou d’ultraviolets. Mais à l’échelle microscopique, seuls certains niveaux d’énergie sont accessibles à cet électron : ils sont quantifiés. Chaque niveau d’énergie accessible est appelé « orbitale » et est numéroté de 1 à n, comme les harmoniques.Maintenant, qu’est-ce qu’émettre un son dans cet univers quantique de l’atome d’hydrogène ? Lorsqu’un électron excité se désexcite, il « saute » d’une orbitale d’énergie supérieure (« lointaine ») a une orbitale d’énergie inférieure (« plus proche »). Lors de cette transition, un photon est émis (infrarouge, lumière visible ou ultraviolet dans ce cas-ci). Ce photon a une énergie égale à la différence d’énergie entre les orbitales et donc une fréquence précise : on a un son !
… quoique ce soi-disant son est beaucoup trop aigu. J’ai donc choisi de le multiplier par un facteur arbitraire pour le ramener dans l’espace de fréquence audible et ne pas rester devant mes baffles à contempler le silence.
On y est ! Donc, on remplace les vibrations d’une corde et ses harmoniques par la désexcitation d’un électron d’un atome d’hydrogène et les fréquences quantifiées des photons émis sont ramenés dans le spectre audible. Ouf, on a des notes !
Alors, c’est bien tout ça, mais comment ça sonne ces gammes quantiques ? Voici les premières 6 gammes construites sur base des transitions de désexcitation de l’électron vers les 6 premières orbitales :
Transition de Lyman (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 1) :
Transition de Balmer (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 2) :
Transition de Paschen (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 3) :
Transition de Brackett (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 4) :
Transition de Pfund (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 5) :
Transition de Humphreys (désexcitation de l’électron vers l’orbitale 6) :
Bon, c’est clair que c’est « différent »… en même temps c’était le but. On peut remarquer que, comparé à nos gammes traditionnelles, les notes proches de la fondamentale sont très éloignées les unes des autres et celles des harmoniques supérieures se rapprochent de plus en plus pour tendre vers une fréquence maximale (d’un point de vue quantique, ça correspond à l’idée que si l’on excite « trop » un électron, on fini par l’envoyer balader comme un satellite qui décroche de sa planète).
Après toute cette construction intellectuelle vient enfin le moment qui compte : comment faire de la musique avec tout ça ?
Mon premier réflexe « de fatigué » (après tout ceci) a été de composer une sorte de musique sérielle pour « faire sonner la couleur » de cet atome d’hydrogène en assemblant différentes séquences en polyrythmie, chacune jouant les notes d’une des série (Lyman, Balmer, Paschen, etc.) en ordre ascendant ou descendant. Que pensez-vous de cette tentative ?
Prochaine étape, essayer de recréer une notion de tonalité et peut-être même de modulation !
Si vous voulez prendre part à cette recherche ou me partager vos observations, n’hésitez pas à me contacter.