Frangine$ : le « making of » de la bande originale de la série
, par Olivier Colot
J’ai eu le plaisir de composer la bande-son originale de la série « Frangine$ », réalisée par Laurent Dryon et produite par la RTBF, Girafeo et Beluga Tree. Cet article est un partage d’expérience, une réflexion sur la collaboration avec Laurent Dryon et Julien Charpentier (directeur de la photographie) pour la création de la bande-son, une réflexion ex-post pour partager les apprentissages de ce beau projet.
« Ce fut un réel plaisir de travailler avec Olivier. Il a directement cerné le projet et l’identité musicale de la série. Il est à l’écoute et réalise un réel travail de fond, d’analyse sur les intentions de chaque scènes pour développer une musique au plus proche de nos personnages. Il a réussi a développer le thème de la famille qui nous manquait afin d’unifier les différents épisodes et le chemin narratif de nos frangines (sur la recherche de la mère). Il arrive à sublimer les émotions sans que la musique ne prenne le pas sur la scène. C’est exactement ce qu’on était venu chercher et Olivier a réussi cela dans un timing très court sachant qu’on avait que quelques semaines pour composer l’ensemble. »
Laurent Dryon, réalisateur
C’est grâce à la recommandation de François Fripiat (Demute Studio) que Laurent Dryon et Julien Charpentier m’ont contacté pour faire la musique de leur série. Alors que la série était en post-production, l’équipe m’a contacté pour donner plus de force à l’image avec la musique. En quelques jours, nous avons convenu d’une collaboration qui peut se résumer par « livrer la musique de la première saison en un mois » ! J’avais donc 1 mois pour relever simultanément deux défis : d’un côté, apprendre à collaborer à trois, à découvrir nos esthétiques et modes de fonctionnement respectifs, de l’autre, composer un univers musical complet, cohérent et l’interpréter, avec peu de temps pour faire mûrir.
Je suis content que nous ayons réussi à relever le défi et à créer une belle collaboration. De manière rétrospective, voici quelques points de réflexions sur le processus de création de la musique de la série et sur l’approche que j’ai proposé à Laurent et Julien :
- Assurer les points d’ancrage pour construire la direction artistique musicale
- Trouver la contribution symbolique de la musique à la trame narrative
- Synthétiser le parcours narratif lors du climax.
Note : j’ai composé, joué (flûte, guitare, synthés, etc.) et produit en studio (enregistrement, mixage et mastering) toutes les pistes suivantes avec les contributions de Margaux de Valensart au chant et de Julien Charpentier à la guitare pour le « thème de la désolation ».
Assurer les points d’ancrage pour construire la direction artistique musicale
J’ai commencé par les deux épisodes les plus complexes, le dernier d’abord, et ensuite le premier, pour m’assurer que la direction artistique musicale concorde avec l’évolution de l’histoire. J’ai fait cela pour plusieurs raisons : d’abord, comme je n’ai pas eu l’occasion de contribuer à créer de l’espace pour la narration par la musique en amont, je devais trouver la meilleure manière de mettre la musique au service de la série avec le montage terminé. Ensuite, je devais m’assurer de livrer la musique à temps et, contrairement à une composition progressive de l’épisode 1 à 8, cela m’a rapidement permis d’assurer avec l’équipe que les points « d’arrivée et de départ » des arcs des personnages étaient bien soutenus musicalement (avant de tirer le fil entre la fin et le début de manière cohérente). Finalement, c’est aussi une excellent manière de valider si la direction artistique musicale correspond à l’univers du réalisateur et de l’équipe, car la fin et le début de saison sont clés et cela leur permet de sentir plus vite si la musique correspond à l’univers qu’ils projettent.
Pour cette expérience, commencer par le climax du dernier épisode pour ensuite m’attaquer à la présentation des personnages m’a permis de m’assurer, avec le peu de temps imparti, que la musique parlait bien de la thématique centrale de la série : la famille.
Je pense que si j’avais suivi la chronologie des épisodes, j’aurais probablement mis plus de temps à réaliser ce qui compte dans l’histoire et que j’aurais pu me perdre en chemin vers le climax de fin de saison.
Trouver la contribution symbolique de la musique à la trame narrative
SPOILER ALERT : si vous ne voulez pas en apprendre trop sur la saison, passez les vidéo et écoutez les pistes en fin d’article !
Après avoir vu les épisodes et discuté à plusieurs reprises avec Laurent Dryon et Julien Charpentier, j’ai cherché à cristalliser une idée-guide centrale et simple pour contribuer à la narration avec la musique. Au cœur de sa narration, la série nous parle d’une famille séparée par les regrets et les reproches et qui se retrouve progressivement en intégrant le passé de chacun et les non-dits. Sur base de ce squelette, j’ai donc commencé par créer des idées musicales correspondant aux polarités de l’histoire, à jouer « les reproches » de Billie qui aurait voulu avoir un père, « les regrets » du père envers ses filles, ou encore « nous retrouver ».
Cherchant à clarifier la valence émotionnelle à donner à la musique, je me suis alors trouvé à opposer les forces centrifuges (les regrets du père, les reproches de filles, la volonté de la mère adoptive de garder Rose ou encore l’agressivité frontale de Billie mise à mal par son frère, etc.) et centripètes (l’amour réciproque implicite), mais une image me manquait pour les rendre suffisamment fortes émotionnellement.
C’est seulement alors que j’ai pris la mesure de l’absence du personnage de la mère et de la place prise par ce vide ! Le père et les deux filles parlent d’elle tout au long de la quête et tentent de la rejoindre, mais elle n’apparaît pas à l’écran… Or elle est le symbole parfait de l’esprit de famille et la rejoindre devient l’aboutissement de leur quête. C’est comme si elle les regardait depuis là-haut, désolée de ce qui s’est passé, compréhensive. C’est comme si elle tentait d’apaiser la famille en fredonnant un air pour les consoler. L’émotion était claire et la composition à jailli. Merci à Margaux de Valensart d’avoir posé sa magnifique voix sur ma composition et à Julien Charpentier de l’avoir jouée à la guitare :
J’ai alors pu commencer à me consacrer aux épisodes 2 à 7, dans l’idée de tisser des fils sur les arcs principaux qui se résolvent à la fin de la saison et d’aborder les musiques qui ne sont pas consubstantielles à la trame narrative principale.
Je pense que c’est le choix de travailler sur la trame narrative et la charge émotionnelle du spectateur qui m’a permis de proposer une musique sensible, de lui donner un rôle invisible (la mère) et non une musique qui habille ce qui est déjà présent à l’image.
Synthétiser le parcours narratif lors du climax
Une fois les polarités principales exprimées musicalement, c’était pour moi le moment de revenir sur le dernier épisode qui les met en scène — ce par quoi j’avais commencé. Ayant affiné l’idée maîtresse de ma direction artistique musicale, je pouvais à présent mieux sentir l’émotion juste pour le climax narratif final avec une phrase simple pour me guider : « la famille intègre ses regrets et ses reproches pour se retrouver ».
La musique exprime donc la bascule du climax : (regrets + reproches) * intégration => famille retrouvée. Lorsque le père verbalise ses regrets et reçoit les reproches de ses filles, j’utilise le « thème du regret » pour amplifier l’émotion de la scène. Lorsqu’il avoue à ses filles que leur mère est morte et que leur quête de la retrouver est vaine, il se rend vulnérable. C’est le début de l’intégration et la voix de la mère fait son apparition avec un thème nouveau qui pour moi signifie « les choses ne sont pas ce qu’on aurait voulu, c’est dur, mais c’est comme ça ». Alors que les filles découvrent et lisent la dernière carte postale de la mère à leur père, on bascule dans tout autre chose avec le thème « protège nos filles » (quand je ne serai plus là). Dans une ambiance musicale éthérée, quasi religieuse, je reprends une variation du « thème de la désolation » chanté par la mère depuis le début de la saison. Les filles acceptent la réalité de la mort de leur mère, et par là-même ouvrent la possibilité d’intégrer leur passé avec leur père. Leur mère les accompagne avec ses derniers mots. La famille se retrouve.
Je pense que c’est la recherche d’une idée simple et puissante et de travailler à la clarifier en continu avec l’équipe qui m’a donné l’idée de jouer la bascule du climax avec une synthèse des thèmes musicaux que le spectateur a déjà entendu dans les épisodes précédents.
Une belle expérience de narration musicale
Que retenir de cette expérience ? Qu’est-ce qui, avec nos personnalités respectives, a marché pour nous ?
Je pense que c’est en se focalisant sur la contribution de la musique à la narration que nous avons pu nous entendre très rapidement sur les enjeux de la musique pour la série. Soigner la qualité de la collaboration nous a aussi permis de prendre du plaisir et de dépasser les envies des égos respectifs, car nous avons à chaque fois discuté des retours sur la musique dans l’objectif de servir au mieux le film. Autrement dit, trouver les points d’ancrage, faire émerger un rôle symbolique et tisser la musique sur les arcs de la narration est selon moi le meilleur moyen de communiquer efficacement entre compositeur et réalisateur et d’avoir de l’alignement !
Pour finir, je tiens à remercier Laurent Dryon et Julien Charpentier pour leur confiance et cette belle collaboration, Margaux de Valensart qui a prêté sa magnifique voix à la série, ma compagne pour m’avoir accompagné dans toutes ces journées de création intense, Martin Michiels pour les instruments qu’il me met à disposition, François Fripiat pour la recommandation et Walter Fiorini pour la fluidité de l’intégration de la musique dans le mix.
J’espère que cet article contribuera à construire de belles relations réalisateur/compositeur et des ponts entre la narration et la musique. N’hésitez pas à partager l’expérience !
Ecoutez la band-son originale complète :